LES FEMMES ET LA PRATIQUE
Traditionnellement, les métiers de l'encadrement sportif sont plutôt réservés aux hommes et l'accès des femmes aux formations et aux métiers du sport reste encore insuffisant. En 2002, seuls 28% des titulaires du Brevet d'Etat d'Educateur(trice) Sportif(ve) 1er degré (BEES 1) et 15% des titulaires du Brevet d'Etat d'Educateur(trice) Sportif(ve) 2ème degré (BEES 2) étaient des femmes. Pourtant, depuis une vingtaine d'années, il est de plus en plus courant de trouver des femmes dans des emplois sportifs traditionnellement masculins, qu'il s'agisse du métier d'entraîneur sportif (essentiellement dans les sports pratiqués par des femmes), de Maître-Nageur Sauveteur (MNS) et, depuis peu, dans quelques métiers historiquement dominés par des hommes.
Je n'aborderai pas le thème de la parité, pour les salaires des sportifs pros et des enseignants, l'ouverture des postes à responsabilité, les primes décernées eux champions et non aux championnes dans une même discipline, les sponsors et médias qui suivent uniquement les équipes masculines...
voici quelques réflexions.
La femme et les étiquettes
La femme a toujours été étiquetée, et même si aujourd'hui les mentalités changent, il n'en reste pas moins des clichés vivaces..
- la preuve avec une pub récente de la fédération de karaté qui affichait pour la pratique féminine : Karaté et beauté (tonifier et avoir un corps harmonieux...) Imaginez vous cela sur une pub destinée à un public d'hommes pratiquant les arts martiaux? ...
...Bien sûr que le public féminin a parfois d'autres attraits..mais, le simple fait de vouloir le mettre en avant sur une affiche peut être traduit comme: "attention les arts mariaux sont un monde d'hommes virils, dans lequel nous avons fait l'effort de vous trouver une place quand même..."
- Dans l'esprit de beaucoup de gens, "un homme fait du Dakaïto Ryu et plus généralement des arts martiaux pour ses valeurs martiales, pour combattre, pour être au fond un guerrier..une femme fait du Dakaïto Ryu pour apprendre à se défendre, se défouler de ses frustrations, ou se sculpter un beau corps."
Est ce qu'il vient à l'esprit des gens, qu'une femme aussi peut avoir envie d'être un guerrier? de pratiquer un ART MARTIAL et pas un loisir?
- Dans 80% des clubs où une femme est enseignante, elle sera attitrée aux cours enfants, ou nouveaux dérivés des arts martiaux sous fond musical ..très peu sont responsables des cours adultes, et encore moins des cours de ceintures avancées..soit parce qu'on ne leur laisse pas le choix, soit parce qu'on les a persuadé qu'elles ont "la fibre maternelle et pédagogique pour les enfants, et pas assez de personnalité pour les adultes"
-je cite mot pour mot une interview récente: "ne trouvez-vous pas qu'il y a quelque chose de sexy chez une femme qui fait du kung fu, du judo, du karaté ou du jujutsu? Les femmes qui font des arts martiaux dégagent habituellement une certaine confiance en elles et une belle authenticité. Après tout, une fille normale ne pratique pas cette activité. Elles semblent aussi avoir ce petit côté zen qu'on associe souvent aux arts martiaux et c'est peut-être ce qui me plaît".
On en déduit donc qu'une femme qui pratique un art martial ou un sport de combat et qui n'a pas un look sexy a peu de chance de trouver du soutien..."ok tu peux pratiquer tant que tu restes féminine!"
- un homme avec un oeil au beurre noir est un "dur", une femme avec un oeil au beurre noir est "défigurée" ou "battue par son mari"...
- Une femme qui fait un "sport d'homme", donc de combat, ou du foot, ou que sais je encore, "cherche simplement à les imiter ou à se faire remarquer, alors qu'elle devrait rester à sa place..de femme..." je cite toujours.
La femme et la pratique
- Dans la pratique, une femme est, vous le savez, faite différemment....il ne viendrait pas à l'esprit d'un homme de frapper à l'entrainement, volontairement, dans les parties génitales d'un autre homme...et bien, par contre, cela ne pose pas de problème, à 80% d'entre eux, de frapper dans la poitrine d'une femme...pourtant c'est la même douleur...
- Si une femme ose se plaindre, après une blessure, on lui répond "tu n'es pas à la danse classique ici!" résultat, je l'ai vécu, on sert les dents et on finit le cours, , pour ne pas se "défiler"...Par contre quand un homme se blesse on lui donne la bombe de froid en disant que c'est "une blessure de guerre".
- A l'extrême inverse, quand on fait des exercices physiques, des pompes par exemple "les filles sur les genoux..les filles arrêtez , les hommes continuez.." quand on fait un combat contre un homme on s'entend dire, après un soupir "allez vas y tape fort défoules toi"...
- En travail codifié à deux, même s'il est demandé de travailler fort, au contact, l'homme va systématiquement freiner ses attaques, surtout s'il attaque le visage..le travail est donc faussé.
La femme enseignante
Etre enseignante n'est pas une mince affaire:
- certains ne viennent pas à mes cours parce qu'ils ont honte de dire à leurs amis que leur prof est une femme...
- certains autres ne viennent pas parce qu'ils trouvent que je ne suis pas assez "militaire, testostéroné" dans ma façon de diriger le cours..peu leur importe que mes cours soient de qualité ou pas...
- certains (et j'imagine que c'est le cas d'une bonne majorité silencieuse) pensent qu'il est plus facile pour une femme de passer des grades, que les juges sont plus cool...et que donc c'est normal d'obtenir des grades et pas eux...
- d'autres provoquent constament pour voir nous méritons vraiment d'avoir le rôle que jnous avons...
- Si je fais un cours plus physique et que je suis plus intransigeante que celui de mes collègues enseignants de la gente masculine c'est que je suis "frustrée" ou que je dois "avoir mes règles"....à l'inverse, mes collègues masculins vont facilement expliquer le fait que certains élèves ne viennent qu'à mes cours parce que dans leurs cours "c'est plus physique, y en a qui tiennent pas le choc"!!!
-les hommes ont du mal à comprendre que, faire un éducatif, ou un exercice de façon souple et lente, leur apporte quelque chose de différent...et que bien sûr ce ne sont pas des choses applicables au combat de rue "ça sert à rien ton truc si il se défend comme ça je le défonce en vrai"....oui oui..c'est un exercice..EX-ER-CI-CE
-et... les femmes qui se complaisent dans leur rôle de "femme faible" et ne font aucun effort qui les ferait suer un peu, ou sortir de leur carapace
La femme battante et optimiste!
Loin de moi l'idée de déclarer la guerre! la mixité dans les cours est un atout dont il faut tirer parti à tout moment
- La femme est tout comme l'homme capable d'apprendre, de ressentir, de maîtriser et donc d'enseigner l'esprit du Budo..il suffit qu'elle fasse un effort supplémentaire pour se faire accepter
- Pénétrer dans un "territoire masculin", et s'y faire une place, procure une grande satisfaction et une grande fierté ..il faut simplement savoir montrer les dents quand il faut pour ne pas se faire marcher dessus...pour cela, il est plus important de se dépasser soi même que de dépasser l'autre
- je citerai ici Catherine David : "Plus le maître avance en âge, plus il fait appel à la force intérieure qui compense largement la vigueur musculaire. Or, cette progression vers l'intériorité, en évitant de demander aux muscles de faire tout le travail, contribue à préserver les articulations et à renforcer le coeur. Aux femmes, le travail interne donne une puissance dont elles n'auraient jamais rêvé."
réussir à enseigner cela aux hommes également est une grande victoire....
- la femme se sachant moins forte physiquement a une approche plus réaliste de la confrontation, et plus rusée..elle apportera donc a ses élèves une approche novatrice de l'art martial
- il faut savoir être diplomate, et jouer des rôles hommes/femmes pour par exemple, éviter de vexer un élève à jamais parce qu'il a" perdu la face" en perdant son combat contre une femme, de même une femme poussée à bout va plus facilement craquer et pleurer...à nous de montrer dans notre attitude que ce n'est pas une marque de faiblesse mais bien une réaction naturelle de la femme au stress, donc ne pas s'attarder et passer à autre chose.
- l'apprentissage du respect, et du code moral en général passe par l'acceptation de ses propres faiblesses et de celles des autres, et de l'harmonie avec autrui, dans la solidarité comme dans la confrontation
- Même si vous avez un débutant dans grand gabari dans vos cours, qui serait capable de vous faire voler d'un bout à l'autre de la pièce d'un simple coup , vous êtes là pour le faire progresser sur la voie martiale.
Pour conclure, les Arts Martiaux m'ont permis de rencontrer des hommes et des femmes incroyables, intéressants, ouverts, cultivés...ce qui fait oublier complètement tous ces aspects négatifs ou stressants de l'enseignement...partager ma passion avec des passionnés, c'est mon moteur!